Bonjour.
J’habite à Montréal, au Québec, et depuis une dizaine d’années, je me fais un point d’honneur de travailler à à-peu-près toutes les élections (et il y en a: fédérales, provinciales, municipales et scolaires).
Je trouve intéressant cette description du scrutin, et je m’étonne que des mesures ne soient pas prises pour éviter de tels abus.
J’ai occupé à peu-près tous les postes dans divers scrutins:
Représentant — je crois que c’est l’équivalent de vos «assesseurs», qui surveille le déroulement du scrutin pour les candidats (c’est le seul poste bénévole). Un maximum de deux représentants simultanés par candidat est admis dans chaque bureau.
Greffier — qui s’occupe des écritures du bureau de vote et vérifie l’inscription des électeurs (fait aussi le travail du scrutateur si celui-ci est analphabète — ne riez pas, ça m’est déjà arrivé!!!)
Préposé aux inscriptions — inscrit les électeurs lors du jour du scrutin (élections fédérales et hors-Québec seulement)
Préposé à la liste électorale — vérifie les inscriptions si il y a erreur (je ne suis pas trop au courant, je n’ai jamais tenu ce poste)
Scrutateur — qui prépare les bulletins de vote et effectue le décompte des voix
Aide-PRIMO (Préposé à l’Information et au Maintien de l’Ordre) — assiste le PRIMO dans ses fonctions
PRIMO — chef du centre de scrutin (s’il y a plus de deux ou trois bureaux de vote)
À l’exception des représentants, tous ces postes sont rénumérés (entre $250 et $350) par le Directeur Général des Élections.
Lors du déroulement du scrutin, les seules personnes autorisées à se trouver aux bureaux de votes (en fait, chaque «bureau» est une table) sont les personnes ci-dessus, le directeur du scrutin pour la circonscription et ses assistants, les électeurs au moment où ils votent et les candidats dans la circonscription. Les chefs de partis, les médias, la gouverneur générale, Élizabeth Alexandra Mary Windsor de Saxe-Cobourg (c’est ce qui tient lieu de chef d’état ici), etc. ne sont pas admis. Pour être admis dans la salle, chaque employé doit être en possession de son formulaire de nomination, et les représentants d’un formulaire signé par le candidat (le PRIMO possède une liste des signatures des candidats pour vérifier).
En tout temps, le PRIMO peut faire appel à la police en cas de dérangement qui ne peut être réglé immédiatement.
Les téléphones portables ne peuvent être utilisés dans la salle, à l’exception de celui du PRIMO et des assistants du directeur du scrutin. Il est interdit de photographier ou de filmer dans le centre de scrutin (le PRIMO a le dernier mot si on veut fermer les yeux dans le cas d’un ministre; il demandra souvent de filmer depuis la porte).
Pour chacun des postes rénumérés, une formation (rémunérée) de deux à trois heures est menée; une documentation simple et précise permet d’accompagner les employés au fur et à mesure du déroulement des opérations. En cas de problème non couvert, tout le monde peut consulter le PRIMO qui peut faire appel au directeur du scrutin.
Les candidatures aux postes de greffier et de scrutateurs sont co-optées par les candidats; le candidat sortant co-opte les scrutateurs, et le candidat du parti arrivé second au précédent scrutin co-opte les greffiers (ce n’est pas une règle absolue; le directeur du scrutin a le dernier mot et peut assigner qui il veut; j’ai donc eu la surprise une fois d’avoir un scrutateur du même «côté» que moi…). En général, ces postes sont données en récompense pour du bénévolat effectué lors de la campagne. Les candidatures pour les autres postes sont addressées directement au directeur du scrutin.
Dans tous les cas, on privilégiera les «indigènes» qui connaissent bien la circonscription et surtout les habitants; on tentera le plus possible d’assigner le personnel dans leurs sections de votes respectives car ils seront ainsi plus susceptibles de déceler les fraudes, car ils connaissent leurs voisins… (En fait, la plupart de mes voisins se sont mis à me parler après m’avoir vu travailler aux élections…: ) ).
TOUTE ACTIVITÉ PARTISANE EST FORMELLEMENT PROHIBÉE à proximité du lieu de votation. Ça inclut les affiches sur les poteaux visibles depuis le lieu de vote, les épinglettes et même la couleur des vêtements. Toute personne enfreignant ces directives peut être expulsée.
Un type qui viendrait intimider les électeurs se ferait donc virer rapidement…
Déroulement:
Le scrutin se déroule ainsi: une heure avant le début, le personnel arrive et arrange les chaises et tables ainsi que la paperasse. Les urnes sont scellées préférablement en présence des représentants qui ont le droit de signer les sceaux. Quand tout le monde est prêt, à l’heure d’ouverture (les heures dépendent du fuseau horaire pour les élections fédérales — le Canada en couvre 6), le public est admis à voter.
Pour voter, il faut être inscrit sur la liste. Jadis, un recensement était effectué à chaque scrutin, mais depuis 15 ans environ, une liste permanente est tenue.
Il n’y a pas de carte d’électeur. Les électeurs sont responsables de vérifier qu’ils sont inscrits; à cet effet, des aides-mémoires sont postés quelques semaines avant le scrutin.
Si on n’est pas inscrit au moment du vote, il est possible de s’inscrire la journée même, sauf aux élections québécoises (celà afin d’éviter les fraudes – dans le reste du Canada, ils sont plus tolérants des fraudes… Attention, une élection fédérale se tient aussi au Québec, et il est possible de s’inscrire la journée même).
L’électeur est donc dirigé vers son bureau de vote par le PRIMO (il peut y avoir jusqu’à 15 bureaux dans un centre de votation), et il se présente au scrutateur. Le greffier vérifie son inscription sur la liste et son identité. Jusqu’il y a 5 ans environ, il était absolument interdit au personnel électoral d’exiger une pièce d’identité!!! celà, encore, pour favoriser les fraudes. La loi a été changée d’abord au Québec pour rendre les pièces d’identité obligatoires suite à des fraudes flagrantes de la part d’un parti de droite, puis le Canada a ensuite suivi (pour les autres provinces, je ne suis pas sûr).
Les pièces d’identité acceptées sont le permis de conduire, la carte d’assurance-maladie (un peu comme la Sécu), la carte de citoyenneté, le passeport, la carte de statut d’indien et la carte des forces armées.
Il y a eu une controverse il y a quelques années au sujet des femmes voilées; en protestation du fait qu’il avait été annoncé que les femmes pouvaient voter sans se dévoiler, des petits rigolos ont menacé de se présenter avec des masques de Miquet le Mahousse… Ça a eu le mérite de faire bouger les choses, car la fois suivante, les règles ont été clarifiées et les femmes sommées de se dévoiler…
(Ce coup là, je travaillais avec un tunisien qui pestait en disant que dans les pays islamiques où les femmes ont le droit de vote, elles doivent se dévoiler pour voter…)
Le vote:
Une fois que l’inscription de l’électeur a été véfifiée, le scrutateur lui remet un ou plusieurs bulletins de vote (aux élections municipales, on vote pour le maire, le conseiller, et s’il y a lieu, pour le maire d’arrondissement. Un référendum municipal peut aussi être tenu à ce moment; tout ce beau monde aura chacun son bulletin) dûment initialé par le scrutateur.
Un représentant peut demander une identification plus poussée de l’électeur dans des limites raisonnables; en aucun cas un représentant ne peut s’addresser à l’électeur (j’ai déjà vu passer des anciens camarades de classe de 30 ans auparavant sans pouvoir rien dire — je n’avais pas été reconnu…).
Bulletins de vote:
Les bulletins de vote sont strictement comptabilisés. Ils viennent dans des carnets à souche et sont numérotés consécutivement; le scrutateur doit bien vérifier le compte avant d’ouvrir son bureau. Chaque bulletin comprend un talon détachable numéroté correspondant au numéro demeurant dans la souche du carnet.
Les bulletins sont noirs; les noms des candidats sont en blanc ainsi qu’un cercle adjacent où l’on fait sa marque.
Avant de remettre le bulletin à l’électeur, le scrutateur le détache du bulletin UN À LA FOIS, l’initiale au dos, le plie et le remet à l’électeur. L’électeur s’isole alors pour voter, et revient avec son bulletin rempli et replié. Le scrutateur (et tout le monde présent – greffier, représentant et/ou candidat) peut vérifier que les initiales du scrutateur y figurent, et que le numéro du talon correspond bien à celui demeuré sur la souche (comme ça on sait que c’est le même bulletin qui a été remis et non pas un «télégramme»). Le talon est alors détaché (par l’électeur ou le scrutateur) puis inséré dans l’urne. Le talon est ensuite conservé dans une enveloppe spéciale. En cas d’erreur, on peut demander un autre bulletin après avoir placé le premier dans une enveloppe prévue à cet effet; le bulletin est alors annulé.
À ce moment, le greffier raye le nom de l’électeur de la liste en clamant «À VOTÉ!». C’est tout en ce qui concerne l’électeur.
Les seules personnes qui peuvent toucher à un bulletin de vote le jours du scrutin sont le scrutateur et l’électeur qu moment où il vote. Personne d’autre n’a pas le droit d’y toucher, et il est interdit de se trouver en possession d’un bulletin à l’extérieur du lieu de vote.
Dépouillement:
Après l’heure de fermeture, les électeurs présent peuvent voter, et le dépouillement commence dès que le dernier électeur a quitté. Seuls le personnel et les représentant et les candidats sont autorisés à assister au dépouillement.
Avant d’ouvrir l’urne, on fait le compte des talons des bulletins utilisés. On vérifie que le compte y est (autant d’électeurs + de bulletins annulés que de talons). Quand tout concorde (c’est loin d’être évident, il suffit d’un scrutateur un peu souillon pour que ça prenne une éternité), on ouvre l’urne. Le scrutateur fait alors des piles de bulletins selon le candidat choisi, et le greffier fait le compte. Les représentants peuvent aussi faire le compte. Un représentant peut contester un bulletin de vote; son objection est notée, mais c’est le scrutateur qui a le dernier mot.
Bien que la loi fédérale dise qu’il faille vider l’urne sur la table, on se fait bien expliquer que nous devons violer la loi en prenant les bulletins un à un… Image may be NSFW.
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Une fois le compte fait, on recomptabilise tout, et quand ça concorde, on mets les bulletins dans des enveloppes séparées (une pour chaque candidat) et on finit les écritures, dont la feuille des résultats qu’on remet aux représentants et au PRIMO qui la communique sur le champ au directeur du scrutin.
L’urne est rescellée, et tout le monde rentre à la maison avec la satisfaction du devoir accompli, sauf le PRIMO qui emmene les urnes au bureau du directeur du scrutin. C’est là qu’il peut rentrer chez-lui, avec plus de 15 heures de boulot dans le corps…:)
* * *
Anecdotes:
Dans une élection fédérale, le centre où je travaillais était dans le gymnase de la caserne des Hussards Royaux . Ici, l’armée est reconnue pour lever le coude (surtout que les soldats ont accès à de l’alcool détaxé dans les casernes) et on n’avait que des tables rondes pour s’installer (elles ne servent d’ordinaire qu’aux banquets), ce qui était très incommode (allez donner un bulletin de vote à un électeur à 2m de vous!!!). Aussi, on a du demander à plusieurs reprises de faire refermer la porte du garage qui donnait sur le gymnase, car ce n’est pas très jojo de voter en voyant les canons et les chars d’assaut dans la pièce d’à côté… On nous avait aussi assigné un soldat pour s’occuper de nous (faire le café, chercher la bouffe à la cantine, déplacer les tables); bien que sa présence était illégalle, ç’aurait été inconvenant de l’empêcher d’être là… Alors on a fermé les yeux sur sa présence…
J’ai eu l’immense bonheur de travailler avec une scrutatrice fonctionnellement analphabète. J’ai donc du me taper deux fois plus de paperasse, et le pire, c’est qu’elle était payée (un peu) plus cher que moi… On m’a ensuite raconté qu’elle avait déjà fait de la taule pour escroquerie…
Une fois, une anglaise très digne est venue voter. Quand elle s’est identifiée, j’ai vu qu’elle était née 101 ans plus tôt; elle se déplaçait sans canne: elle avait l’air d’avoir 40 ans de moins!!! Ça m’a ému pour le reste de la soirée… Elle avait vécu sous le règne de la reine Victoria!!!
Quand j’ai été PRIMO, j’ai eu maille à partir avec un scrutateur qui ne parlait pas un traître mot de français… J’ai donc du débiter les directives en français et en anglais, ce qui m’a fait perdre un temps fou. C’était dans le gymnase d’une école, et pour une raison idiote, les électeurs devaient faire la queue à l’extérieur. Quand il s’est mis à pleuvoir dru, il a fallu changer la configuration des bureaux de scrutin pour ménager un espace dans un coin pour permettre aux électeurs d’attendre à l’abri…
J’ai du une fois faire expulser un représentant à une table voisine parce qu’il n’appréciait pas que je parle avec un large sourire à sa petite amie qui était représentante dans mon bureau, et m’avait menacé de damnation éternelle (non, ce n’était pas un musulman, mais un évangéliste pentecôtiste — ou un truc du genre); il pensait que je lui chantait la pomme…
J’ai déjà vu des scrutateurs ouvrir les urnes alors qu’il y avait des électeurs encore présents…
J’ai aussi une fois travaillé dans des élections provinciales à Ottawa, en Ontario. J’ai été sidéré de constater que l’organisation était absolument laissée au hasard; nous n’avions pas la moitié de la paperasse requise! Nous étions installés dans la salle d’une paroisse adjacente à l’église. Pendant quatre heures, nous avons été gratifiés d’une répétition de la chorale dans l’église adjacente (heureusement que c‘était une chorale renommée). Quelle a été ma suprise de voir, quelques années plus tard que le vidéo de formation pour les élections fédérales y avait été tourné!!!
La pire des élections que j’ai jamais vu était à la campagne. J’étais représentant pour un copain qui se présentait comme conseiller municipal. Tous les bureaux de scrutins étaient au même endroit, dans le sous-sol de la mairie. À l’époque, personne ne pouvait sortir tant que toutes les urnes avaient été dépouillées. Nous avons donc du attendre trois heures du matin parce qu’une des tables avait tout connement renversé l’urne, et ils avaient beau compter et recompter, ça ne concordait pas (non, pas question de les aider, seuls le personnel d’un bureau peut y travailler). Au moins, l’attente a été rendue moins pénible quand ils ont fait venir un traiteur avec un buffet chaud vers minuit… Mais comme je n´étais que représentant, je n’ai pas eu droit aux heures supplémentaires qui n’ont pas manqué d’être payées au personnel — j’ose espérer que la note salée fut à l‘origine de l’abolition de la règle voulant que personne ne puisse sortir avant que tout soit compté…